Première subdivision: Phénoménologie de lesprit ou science de la conscience INTRODUCTION
§1. Notre savoir habituel ne se représente que lobjet quil sait; il ne se représente pas en même temps lui-même, cest-à-dire le savoir même. Or le tout qui est donné dans le savoir ne se réduit pas à lobjet; il contient aussi le Je qui sait, et la relation réciproque entre moi et lobjet: la conscience.
§ 2. En philosophie, on ne considère pas les déterminations du savoir, de façon unilatérale, comme simples déterminations des choses, mais on les considère sans les séparer du savoir au quel elles ressortissent, au moins, au même titre que les choses mêmes; autrement dit, on les prend pour des déterminations, non pas simplement objectives, mais également subjectives, ou plutôt comme des modes déterminées de la relation réciproque qui lie objet et sujet.
§ 3. Puisque les choses et leurs déterminations appartiennent au savoir, on peut, dune part, se représenter que ces choses sont, en elles-mêmes et pour elles-mêmes, hors de la conscience, et quelles lui sont purement et simplement données comme une réalité étrangère et achevée; mais, dautre part, puisque la conscience nest pas moins essentielle au savoir, on peut se représenter aussi que la conscience se pose elle-même ce monde qui est sien et que, par son comportement et son activité elle produit delle-même ou modifie, de façon totale ou partielle, les déterminations de ce monde. Le premier mode de représentation est appelé réalisme, le second idéalisme. Ici les déterminations universelles des choses ne sont a considérer, absolument parlant, que comme une relation déterminée de lobjet au sujet.
§ 4. Le sujet, si on le pense de façon plus déterminée, est lesprit. Il se manifeste phénoménalement en tant quil se rapporte essentiellement à un objet qui est; dans cette mesure, il est conscience. La doctrine de la conscience est donc la phénoménologie de lesprit.
§ 5. Mais, dans son activité autonome, au-dedans de lui même, et dans sa relation à lui-même, indépendamment de sa relation à autre chose, lesprit ressortit à ce qui est proprement la science de lesprit, cest-à-dire la psychologie.
§ 6. La conscience est, absolument parlant, le savoir dun objet, intérieur ou extérieur, sans égard au fait, ou bien que cet objet soffre à elle sans que lesprit y soit pour rien, ou bien que ce soit lesprit qui le produise. On considère lesprit selon ses activités dans la mesure où cest à lui-même quon attribue les déterminations de sa conscience.
§ 7. La conscience est la relation déterminée du Je à un objet. Dans la mesure où lon part de lobjet, on peut dire quelle est diverse selon la diversité des objets quelle contient.
§ 8 Mais, en même temps, cest dans son rapport à la conscience que lobjet est essentiellement déterminé. Il faut donc considérer, en sens inverse, la diversité qui affecte lobjet comme dépendant de la formation progressive de la conscience. Cette réciprocité intervient dans la sphère phénoménale de la conscience même et ne fournit aucune réponse à la question posée plus haut (§ 3) concernant les rapports que la conscience, en elle-même et pour elle-même, entretient avec ces déterminations.
§ 9. Selon la diversité de ce qui affecte lobjet, absolument parlant, la conscience comporte, en son universalité, trois degrés. Ou bien lobjet est opposé au Je, ou bien il est le Je lui même, ou bien il est une réalité objectale qui nappartient pas moins au Je et qui est la pensée. Ces déterminations ne sont pas empiriquement empruntées au dehors, mais elles constituent les moments de la conscience même. On a donc:
1° la conscience en général;
2° la conscience de soi;
3° la raison.
PREMIER DEGRÉ: LA CONSCIENCE ABSOLUMENT PARLANT
§ 10 Absolument parlant, la conscience se situe au niveau 1° de la sensibilité, 2° de la perception, 3° de lentendement.
A. La conscience sensible
§ 11. La simple conscience sensible est la certitude immédiate portant sur un objet extérieur. Pour Énoncer le caractère immédiat dun tel objet, on dit quil est, et quil est ceci, maintenant, dans le temps, et ici, dans lespace, parfaitement distinct de tout autre objet et complètement déterminé en lui-même.
§ 12. Tout comme cet ici, ce maintenant est quelque chose qui disparaît. A linstant même où il est, le maintenant nest plus et un autre maintenant sest substitue a lui, mais pour disparaître, lui aussi, tout aussitôt. Et cependant le maintenant demeure. Ce maintenant qui demeure est le maintenant universel, qui nest pas moins celui-ci que celui-là, mais qui nest aucun deux. Cet ici, que je vise et que je montre, a une droite et une gauche, un haut et un bas, un arrière et un avant, à linfini; cest dire que lici que je désigne nest pas un simple ici, de telle ou telle façon déterminée, mais une collection de multiples ici. Ce qui est vraiment donné nest donc pas la déterminité sensible abstraite, mais bien luniversel.
B. La perception
§13. La perception a pour objet le sensible, dans la mesure, non plus où il est immédiat, mais où il est en même temps à titre duniversel. Elle est un mélange de déterminations sensibles et de déterminations réflexives.
§14. Lobjet de cette conscience est donc la chose avec ses propriétés. Les propriétés sensibles a) sont, pour elles-mêmes, tout aussi bien immédiates dans le sentiment quen même temps déterminées par leur relation à autre chose et médiatisées; b) nappartiennent quà une seule chose, et, si, dun côté, elles sont, a cet égard, saisies dans la singularité de cette chose, dun autre côté, elles ont une universalité qui leur permet de dépasser cette chose singulière et dêtre, en même temps, indépendantes les unes des autres.
§15. Dans la mesure où les propriétés sont essentiellement médiatisées, elles ont leur subsistance en autre chose quelles et elles se modifient. Elles ne sont que des accidents. Mais puisque les choses consistent en leurs propriétés, en se distinguant ainsi les unes des autres, elles se défont lorsque ces propriétés se modifient, et elles sont une alternance de surgissements et de disparitions.
§ 16. Dans cette modification, on ne trouve pas seulement un aliquid qui se supprime et devient autre, mais lautre aussi disparaît. Or lautre de lautre, cest-à-dire la modification du modifiable, est le devenir de ce qui reste, de ce qui subsiste en lui même et pour lui-même, et qui est intérieur.
C. Lentendement
§17. Or la détermination de lentendement est davoir a) un aspect purement et simplement accidentel, mais aussi b) une essentialité et quelque chose qui demeure. En tant que lobjet a pour elle cette détermination, la conscience est lentendement, pour lequel les choses de la perception nont valeur que de phénomènes et qui considère lintérieur des choses.
§ 18. Lintérieur des choses est ce qui, en elles, est, dune part, libéré du phénomène, cest-à-dire de leur variété, laquelle constitue, par rapport à elles, une réalité extérieure, mais ce qui, dautre part, y est référé par son concept. Il est donc 1° la simple force, qui passe à létat de réalité présente, qui sextériorise.
§19. 2° Malgré cette différence qui appartient à toute la variété sensible des phénomènes, cette force reste identique à elle-même. La loi du phénomène en est limage immobile et universelle. Elle est un rapport qui lie des déterminations universelles, dont le caractère est de demeurer, et dont la différence, au niveau de la loi, est dabord extérieure. Luniversalité et la constance de ce rapport le rendent assurément nécessaire, mais sans que la différence soit en elle-même déterminée, cest-à-dire intérieure, et telle quen elle lune des déterminations appartienne immédiatement au concept de lautre.
§ 20. Appliqué à la conscience elle-même, ce concept donne un autre degré de cette conscience. Par rapport à son objet, elle était jusqualors comme une chose étrangère et indifférente. Mais puisque la différence, absolument parlant, est maintenant devenue telle quen même temps elle est tout aussi bien non-différence, on voit disparaître lancien mode de distinction entre la conscience et son objet. Elle a un objet et elle se rapporte à autre chose quelle, mais à autre chose qui, tout aussi bien, de façon immédiate, nest pas autre chose, ce qui signifie quelle est à elle-même son propre objet.
§ 21. En dautres termes, de façon immédiate: lintérieur des choses en est la pensée ou le concept. En sassignant pour objet lintérieur, la conscience sassigne pour objet la pensée, cest-à-dire, tout aussi bien, sa propre réflexion ou forme, ce qui signifie quabsolument parlant elle se prend elle-même pour objet.
DEUXIÈME DEGRÉ: LA CONSCIENCE DE SOI
§ 22. En tant que conscience de soi, le Je a lintuition de lui-même, et lénonciation de cette conscience dans sa pureté est Je = Je, ou Je suis Je.
§ 23. Cette proposition de la conscience de soi est dépourvue de tout contenu. La tendance de la conscience de soi la pousse à réaliser son concept et à se donner en toutes choses la conscience delle-même. Ainsi cette conscience exerce une double activité: 1° pour supprimer laltérité des objets et pour les poser comme égaux à elle-même, 2° pour sortir delle-même et se donner de la sorte objectalité et réalité présente. Ces deux activités nen font quune seule. Lacte par lequel la conscience de soi acquiert une détermination est en même temps un acte dauto-détermination, et inversement. Elle se produit elle-même à titre dobjet.
§ 24. Dans sa formation, cest-à-dire dans son mouvement, la conscience de soi passe par les trois degrés suivants: 1° celui du désir, pour autant quelle soriente vers dautres choses, 2° celui de la relation maîtrise-servitude, pour autant quelle soriente vers une autre conscience de soi inégale par rapport à elle, 3° celui de la conscience universelle de soi, qui se reconnaît en dautres consciences de soi comme leur étant égale tout aussi bien quelles-mêmes lui sont égales.
A. Le désir
§ 25. Les deux aspects de la conscience de soi, celui qui pose et celui qui supprime, sont donc liés lun à lautre de façon immédiate. La conscience de soi se pose par négation de laltérité et elle est conscience pratique. Ainsi, alors que, dans la conscience proprement dite, appelée aussi théorique, les déterminations de cette conscience et celles de lobjet se modifiaient en elles mêmes, cest maintenant la conscience même qui, par son activité, produit pour elle-même cette modification. Elle a conscience que cest à elle quincombe cette activité supprimante. Le concept de conscience de soi contient la détermination de la différence non encore réalisée. Dans la mesure ou cette différence, absolument parlant, se manifeste en elle, elle a le sentiment dune altérité en elle-même, dune négation delle-même, cest-à-dire le sentiment dun manque, un besoin.
§ 26. Ce sentiment quelle a de son altérité contredit à son égalité avec elle-même. La tendance est la nécessité sentie de supprimer cette contradiction. La négation ou altérité se représente à elle comme conscience, comme une réalité extérieure, distincte delle, mais déterminée par la conscience de soi, 1° comme conforme à la tendance, et 2° comme une réalité en elle même négative et dont la subsistance doit être supprimée par le soi et posée dans légalité avec lui.
§ 27. Ainsi lactivité du désir supprime laltérité de lobjet, sa subsistance, absolument parlant, et elle lunit au sujet, ce qui entraîne la satisfaction du désir. Par conséquent, 1° ce désir est conditionné par un objet extérieur qui, en face de lui, subsiste indifférent, cest-à-dire par la conscience, 2° son activité ne produit la satisfaction quen supprimant lobjet. La conscience de soi naboutit ainsi quau sentiment quelle a delle-même.
§ 28. Dans le désir, la conscience de soi se comporte à légard delle-même comme une réalité singulière. Elle renvoie à un objet qui est dépourvu de soi, qui, en lui-même, est autre chose que la conscience de soi. Eu égard à lobjet, cette conscience ne réussit à satteindre dans son égalité à elle-même que par la suppression de cet objet. Absolument parlant, 1° le désir est destructeur, 2° dans la satisfaction du désir, on naboutit, par conséquent, quau sentiment qua de lui-même lêtre-pour-soi du sujet en tant que réalité singulière, au concept indéterminé du sujet lié à lobjectivité.
B. Maîtrise et servitude
§ 29. Le concept de conscience de soi, comme dun sujet qui soit en même temps objectif, entraîne le rapport suivant: il y a pour la conscience de soi une autre conscience de soi.§ 30. Une conscience de soi qui est pour une autre conscience de soi nest pas seulement pour elle comme pur objet, mais comme son autre soi. Le Je nest pas une universalité abstraite, qui ne comporte, comme telle, aucune distinction ou détermination. Le Je étant ainsi objet pour le Je, il est pour lui, à cet égard, comme le même Je quil est lui-même. En lautre, cest de lui-même quil a lintuition.
§ 31. 1° Cette intuition que lun des Je a de lui-même dans lautre Je est le moment abstrait de la mêmeté. 2° Mais la destination de chacun est aussi de se manifester phénoménalement pour lautre à titre dobjet extérieur et, dans cette mesure, à titre de présence concrète sensible. 3° En face de lautre, chacun est absolument pour lui-même et singulier, et il exige, en outre, dêtre tel pour lautre et dêtre tenu pour tel par lautre, davoir dans lautre intuition de sa propre liberté comme liberté dun étant-en-soi, cest-à-dire dêtre reconnu par lautre.
§ 32. Pour se faire valoir et être reconnue comme libre, il faut que la conscience de soi se représente pour une autre comme libérée de la réalité naturelle présente. Ce moment nest pas moins nécessaire que celui qui correspond à la liberté de la conscience de soi en elle-même. Légalité absolue du Je par rapport à lui-même nest pas une égalité essentiellement immédiate, mais une égalité qui se constitue en supprimant limmédiateté sensible et qui, de la sorte, simpose aussi à un autre Je comme libre et indépendante du sensible. Ainsi la conscience de soi se révèle conforme à son concept et, puisquelle donne réalité au Je, il est impossible quelle ne soit pas reconnue.
§ 33. Mais lautonomie est moins la liberté qui sort de la présence sensible immédiate et qui se détache delle que, bien plutôt, la liberté au sein de cette présence. Ce moment est aussi nécessaire que lautre, mais ils ne sont pas dégale valeur. Par suite de linégalité qui tient à ce que, pour lune des deux consciences de soi, la liberté a plus de valeur que la réalité sensible présente, tandis que, pour lautre, cette présence assume, au regard de la liberté, valeur de réalité essentielle, cest alors que sétablit entre elles, avec lobligation réciproque dêtre reconnues dans la réalité effective et déterminée, la relation maîtrise-servitude, ou, absolument parlant, service-obéissance, dans la mesure où cette différence dautonomie est donnée par le rapport naturel immédiat.
§ 34. Puisquil est nécessaire que chacune des deux consciences de soi, qui sopposent lune à lautre, sefforce de se manifester et de saffirmer, devant lautre et pour lautre, comme un être-pour-soi absolu, par la même celle qui a préféré la vie à la liberté, et qui se révèle impuissante à faire, par elle-même et pour assurer son indépendance, abstraction de sa réalité sensible présente, entre ainsi dans le rapport de servitude.
§ 35. Cependant, cette liberté purement négative, qui consiste à faire abstraction de la réalité naturelle présente, ne correspond pas au concept de la liberté, car cette dernière est légalité à soi-même dans laltérité, celle, dune part, de lintuition de son soi en un autre soi, celle, dautre part, de la liberté, non par rapport à la réalité présente mais dans cette réalité même, absolument parlant, une liberté qui ait elle-même une réalité présente. Le serviteur est dépourvu de soi; son soi est un autre soi, en sorte que, dans le maître, il saliène et se supprime comme Je singulier et quil a en lui lintuition de son soi essentiel comme dun autre soi. Au contraire, dans le serviteur, le maître a lintuition de lautre Je comme dun Je supprime, et celle de son propre vouloir singulier comme dun vouloir conservé. (Histoire de Robinson et de Vendredi.)
§ 36. Mais, à considérer la chose de façon plus précise, le vouloir propre et singulier du serviteur se défait, absolument parlant, dans la crainte quil éprouve à légard du maître, dans son sentiment intérieur de sa propre négativité. Son travail au service dun autre est, dun côté, en lui-même une aliénation de son vouloir, mais en même temps, dun autre côte, avec la négation de son désir propre, le façonnage positif des choses extérieures par le travail, en ceci que, par lui, le soi fait de ses déterminations la forme des choses et que, dans son ouvrage, il a lintuition de lui-même comme réalité objectale. Laliénation de larbitraire inessentiel constitue le moment de la véritable obéissance. (Pisistrate enseigna lobéissance aux Athéniens. De la sorte il fit passer les lois de Solon sur le plan de leffective réalité, et, une fois reçu cet enseignement, les Athéniens neurent plus besoin de maître.)
§ 37. Cette aliénation de la singularité en tant que soi est le moment par lequel la conscience de soi opère le passage qui fait delle un vouloir universel, le passage à la liberté positive.
C. Universalité de la conscience de soi
§ 38. La conscience universelle de soi est intuition delle-même, non comme dun soi particulier, distinct des autres, mais comme du soi universel, qui est en lui-même. Ainsi elle se reconnaît elle-même et reconnaît en elle les autres consciences de soi et elle est reconnue par elles.§ 39. La conscience de soi nest réelle pour elle-même, selon cette universalité essentielle qui est sienne, que dans la mesure où elle connaît son reflet dans dautres consciences de soi (je sais que dautres ont de moi un savoir qui est un savoir deux-mêmes) et où à titre de pure universalité spirituelle, appartenant à la famille, à la patrie, etc., elle se connaît comme soi essentiel. (Cette conscience de soi est le fondement de toutes les vertus, de lhonneur, de lamitié, du courage, de tout sacrifice, de toute gloire, etc.)
TROISIÈME DEGRÉ: LA RAISON
§ 40. La raison est la suprême union de la conscience et de la conscience de soi, cest-à-dire de la connaissance dun objet et de la connaissance de soi. Elle est la certitude que ses déterminations ne sont pas moins objectales, ne sont pas moins des déterminations de lessence des choses quelles ne sont nos propres pensées. Elle est, en une seule et même pensée, tout à la fois et au même titre, certitude de soi, cest-à-dire subjectivité, et être, cest-à-dire objectivité.
§ 41. En dautres termes: ce que nous discernons grâce à la raison est un contenu, 1° qui ne consiste pas en nos propres représentations ou pensées, par nous-mêmes produites, mais contient lessence des choses telles quelles sont en elles-mêmes et pour elles-mêmes, et a une réalité objective, et 2° qui nest pas quelque chose détranger pour le Je, de donné au Je, mais qui est pénétré par lui, approprié à lui et, par conséquent, tout aussi bien engendré par lui.
§ 42. Ainsi le savoir de la raison nest pas la simple certitude subjective, mais également vérité, car la vérité consiste dans laccord, ou, plutôt, dans lunité entre la certitude et lêtre, cest-à-dire dans lobjectalité.
Deuxième subdivision: Logique INTRODUCTION§ 1 La science de la logique a pour objet la pensée, avec lensemble de ses déterminations. On appelle logique naturelle lentendement naturel qui, par nature, appartient à lhomme, absolument parlant, ainsi que lusage immédiat quil en fait. Mais la science de la logique est le savoir de la pensée en sa vérité.
Éclaircissement. La logique considère le domaine de la pensée, absolument parlant. La pensée est sa sphère propre. Elle constitue un tout pour lui-même. Le contenu de la logique est lensemble des déterminations propres à la pensée elle-même et qui nont absolument aucun autre fondement quelle. Ce qui lui est hétéronome est ce que lui est, absolument parlant, donné par la représentation. La logique est, par conséquent, une grande science Il faut assurément faire une distinction entre la pensée pure et la réalité, mais dans la mesure ou lon entend par réalité la véritable effectivité, la pensée, elle aussi, est réelle. Et, dans la mesure où lon nentend que la présence sensible et extérieure, la pensée alors possède une bien plus haute réalité. Elle a donc un contenu, qui est elle-même sur un mode autonome. En étudiant la logique, on apprend à penser de façon plus correcte, car, en pensant la pensée de la pensée, lesprit se fortifie. On apprend à connaître la nature de la pensée, ce qui permet de déceler les cas où la pensée veut se laisser induire en erreur. Il faut savoir se rendre à soi-même raison de ce quon fait. De la sorte on saffermit et lon évite de se laisser tromper par les autres.
§ 2. Absolument parlant, la pensée est la saisie et compréhension du varié dans lunité. Le divers en tant que tel appartient à lextériorité absolument parlant, au sentiment et à lintuition sensible.
Éclaircissement. La pensée est ce qui ramène tout divers à lunité. En exerçant sur les choses son activité pensante, lesprit les réduit aux formes simples qui sont les pures déterminations de lesprit. Le divers est tout dabord extérieur à la pensée. Dans le mesure où nous appréhendons la diversité sensible, nous ne pensons pas encore; la pensée ne commence quavec la mise en relation de cette diversité. Nous appelons sentiment ou sensation lappréhension immédiate du divers. Lorsque je sens, je suis seulement informé de quelque chose- mais, par lintuition, jappréhende, dans lespace et dans le temps, une réalité qui mest extérieure. Le sentiment devient intuition lorsquil est spatialement et temporellement déterminé.
§ 3 La pensée est abstraction dans la mesure où lintelligence part dintuitions concrètes, laisse de côté lune des déterminations variées que fournissent ces intuitions et, en faisant ressortir telle autre de ces déterminations, lui confère la forme simple de la pensée.
Éclaircissement. Si je laisse de côte toutes les déterminations de lobjet, il ne reste rien. Mais si je laisse de côté une détermination et que jen fasse ressortir une autre, cette dernière est abstraite. Par exemple, je nai savoir du Je quautant que je me sépare de toute détermination. Mais cest là un moyen négatif. Je nie de moi-même les déterminations et ne laisse place quà moi-même en tant que tel. Labstraction est laspect négatif de la pensée.
§ 4. Le contenu des représentations est emprunté à lexpérience, mais la forme même de lunité et ses autres déterminations ont leurs sources, non point en ce quelles présentent dimmédiat en tant que tel, mais bien dans la pensée.
Éclaircissement. Absolument parlant, le Je signifie pensée. Lorsque je dis: Je pense, jénonce une tautologie. Le Je est parfaitement simple. Je suis pensant, et toujours pensant. Cependant nous ne saurions dire : Je pense toujours. En soi, oui certes, mais notre objet nest pas toujours lui-même pensée. Néanmoins, en ce sens que nous sommes un Je, nous pouvons dire que nous pensons toujours, car le Je est toujours la simple identité avec lui-même, et cest là penser. En tant que Je, nous sommes le fondement de toutes nos déterminations. Dans la mesure où lobjet est pensé, il reçoit la forme de la pensée et devient objet pensé. Il est égalisé au Je, ce qui signifie quil est pensé.
§ 5. Nentendons pas pour autant que cette unité nadvienne que par la pensée à la diversité des objets et que le lien y soit dabord introduit de lextérieur; Iunit6 appartient tout aussi bien à lobjet et, avec ses déterminations, en constitue également la nature propre.
§ 6 Il y a trois sortes de pensées: 1° les catégories; 2° les déterminations réflexives; 3° les concepts. La doctrine des deux premières constitue en métaphysique la logique objective; la doctrine des concepts constitue la logique proprement dite, ou subjective.
Éclaircissement. La logique contient le système de la pure pensée. Lêtre est 1° limmédiat; 2° lintérieur; les déterminations de la pensée retournent en elles-mêmes. Les objets de la métaphysique habituelle sont la chose, le monde, lesprit et Dieu, ce qui donne naissance aux diverses sciences métaphysiques : ontologie, cosmologie, pneumatologie et théologie.
3° Ce que représente le concept est un étant, mais aussi un essentiel. Par rapport à lessence, en tant que médiate, lêtre se comporte comme limmédiat. Les choses sont, absolument parlant, mais leur être consiste à manifester leur essence. Lêtre se fait essence, ce qui signifie, en dautres termes, que lêtre présuppose lessence. Mais, encore que lessence, par rapport à lêtre, apparaisse comme le médiat, lessence est pourtant loriginaire. En elle lêtre revient à son fondement; dans lessence lêtre se supprime. Son essence est de la sorte une réalité devenue ou produite, mais ce qui apparaît comme devenu est en même temps bien plutôt loriginaire. Le transitoire a lessence pour base et cest à partir delle quil devient.
Nous constituons des concepts. Ils sont quelque chose que nous posons, mais le concept contient aussi la chose en elle même et pour elle-même. Par rapport à lui, lessence est derechef le posé, mais le posé se comporte cependant comme vrai. Le concept est, pour une part, le subjectif, pour une autre part, lobjectif. Lidée est lunion du subjectif et de lobjectif. Quand nous disons quelle est un simple concept, nous en laissons échapper la réalité. La pure objectivité est, au contraire, sans concept. Mais lidée indique la façon dont le concept détermine la réalité. Tout ce qui est effectif est une idée.
§ 7. La science présuppose quait été déjà supprimée la séparation entre elle-même et la vérité, cest-à-dire que lesprit nappartienne plus au phénomène, comme cest le cas lorsquon le considère dans la doctrine de la conscience. La certitude quelle a delle-même embrasse tout ce qui est objet pour la conscience, chose extérieure ou même pensée produite par lesprit, dans la mesure où cette conscience ne contient aucun des moments de lêtre-en-soi et pour-soi : être en soi, cest-à-dire simple égalité à soi-même, présence, cest-à-dire possession dune déterminité, être pour autre chose, et être pour soi, cest-à-dire, au sein de laltérité, fait dêtre simplement retourné en soi et dêtre auprès de soi La science ne cherche pas la vérité, mais elle est dans la vérité et elle est la vérité même.
(...)