Les sports extrêmes ou le plaisir de mourir jeune....
Maude Landreville (Sciences humaines)
Il faudrait martyriser longtemps un skater pour lui faire avouer qu’il est en fait un sportif. En effet, son passe-temps, peut-être sa passion, est inclus dans ce que l’on nomme les sports extrêmes. Certains diront que l’émergence de ces sports dits aussi de glisse n’est qu’un pot-pourri de pratiques dont la principale caractéristique semble être de vouloir mourir jeune. Pourtant, plus qu’un simple loisir, la pratique d’activités comme le parapente, la planche à neige, le surf et autres semble être un phénomène croissant. Plutôt que d’en traiter d’un point de vue anthropologique en tant que sous-culture, il s’agira ici de faire la genèse des événements ou des courants qui ont mené à cette révolution dans le monde des activités physiques. Par un survol du mouvement, je tenterai de démontrer comment le phénomène prend ou perd de l’ampleur selon qu’on l’analyse à travers une lunette d’approche plus spécifique et économique ou par celle, plus globalisante, de la psychologie.
Une recherche d’absolu
Tout d’abord, la racine du mot “sport” est anglaise: on part de desport pour en arriver en français à s’amuser. L’étymologie nous amène à remarquer la dimension ludique dans les sports extrêmes comparativement aux sports tels que nous les connaissons avec leurs règles et leurs records. En effet, il n’y a pas de définition comme telle des X sports. On les différencie entre autres par leur manque de résultats. L’importance est mise non pas dans la pratique à long terme d’un sport en vue de produire une performance, mais dans l’exécution, dans ce qu’elle contient en elle-même d’absolu. Faute de définition, voici une liste (un peu longue, mais incomplète) de ces pratiques et qui laisse quelques interrogations: surf, patins à roues alignées, windsurf (planche à voile), deltaplane, parachute, bodysurf, rafting, canyonning, benji, vtt, skate-board, snakeboard, footbag, vol libre, hydrospeed, ultramarathon, nage en eau vive, escalade, parapente, cerf-volant acrobatique, freesby, skysurf, monoski, ski extrême, via ferrata (“lignes de vie”, randonnée à la cime des montagnes avec cables et échelles), snowscoot, boomerang, etc. La plupart de ces sports alternatifs sont nés après 1970 et continuent de procréer. Ils sont en général en rapport direct avec la nature, se pratiquent en solo et pas par n’importe qui. C’est qu’ils imposent une certaine attitude (rebelle?), un langage particulier et un look. Alain Loret (1995) parle même d’une génération glisse dans son livre. Est-ce que toute cette mode ne serait en fait qu’une facette d’une société de consommation, qu’une preuve de plus de l’emprise de la culture américaine? L’argent serait-il encore le coupable? La question mérite d’être soulevée.
Le risque de marchandisation
À l’époque de Pierre de Coubertin, qui réinventa les Jeux olympiques, le sport avait pour fonction principale l’éducation et la cohésion sociale. On se rend compte qu’il y a continuité si l'on observe les programmes des cours d’éducation physique offerts aux étudiants ou encore le rôle des sportifs professionnels dans la société actuelle qui semble être de divertir et d’entretenir l’image de la nation. Aujourd’hui, le bon citoyen doit faire du sport. C’est sans doute ce qui rebute une partie de la population qui rejette le conformisme qui consiste à prendre part à une certaine pratique sportive. D’un autre côté, les publicités exploitent à merveille la nouvelle tendance contestataire, risquée, des sports extrêmes. Combien de publicités de vêtements, de bières et autres boissons gazeuses pour ne pas les nommer, d’autos, de télécommunications et de souliers de course montrent un fou dans les airs à bord d’une bicyclette, d’un snow ou d’un deltaplane, peu importe. Des slogans qui poussent à la révolte, à la rébellion, tel que just do it ou no fear . On ne peut nier l’importance des médias dans le phénomène de la propagande et de mode dans la pratique du sport alternatif. Ce serait d’ailleurs les surfers de Californie qui auraient popularisé la couleur fluo. De la même façon, l’on voit la rue Mont-Royal infestée de manteaux Kanuk. Ici, le concept marketing est plutôt fort, convaincre les gens de payer un prix exorbitant pour un produit de dernière technologie capable de résister à la pire ère glaciaire de tous les temps pour ne pas avoir à en acheter un autre avant quelques années, question de ménager l’environnement. Les compagnies offrent l’accès direct aux valeurs à la mode. Mais ces valeurs ne sortent pas de nulle part. Elles se développent au fil du siècle. En tâchant de ne pas tout mettre dans le même panier, il faut se pencher sur certains courants historiques pour mieux comprendre la nouvelle vague de sports.
Une mise en contexte
C’est du côté de la littérature que se font les premiers rapprochements. Les surréalistes (Breton) apparaissent dans l’entre-deux guerres, sans doute aidés par Freud qui leur a ouvert la voie royale vers une nouvelle réalité. Après la Deuxième Guerre, on voit poindre les existentialistes avec, à leur tête, Jean-Paul Sartre. Son livre L’être et le néant donne beaucoup de sens au phénomène des sports extrêmes en exprimant le besoin d’agir pour minimiser l’absurdité de l’existence humaine. Mais l’influence ne saurait être directe puisque le sport extrême n’existe pas encore en tant que phénomène. C’est avec la génération Beatnik qu’on verra apparaître les premiers surfers du type californien vivant de façon nomade, un style de vie que prône Jack Kérouac dans son livre On the Road. Des années cinquante à soixante, cela reste une sous-culture marginalisée alors que les États-Unis vivent leur rêve américain. Le mouvement hippie qui suit, fera la part belle à tout ce qui est contre-culture. Les sports extrêmes se trouvent comme en incubation dans ce mouvement qui transporte jusqu’à aujourd’hui le côté contestataire mais surtout “just for fun” de l’époque. Arrivent les Beach Boys et Alerte à Malibu qui viennent populariser l’idéal californien fait de drogue, de musique, de surf, de blondeur et de soleil. Dans ses confrontations avec les sports classiques, le sport extrême se pose comme un autre représentant du dualisme qui a imprégné tout le siècle. Par le dépouillement dont il fait preuve à ses débuts alors que commencent les controverses écologiques, ainsi que par son contact avec la nature, il fait contraste avec les sports qui se pratiquent dans les stades. Il ne faut pas oublier que, malgré ce dépouillement apparent, l’avancement technologique a permis, plus que tout autre facteur, l’essor des sports extrêmes. Ainsi, l’ancêtre de la planche de surf pesait environ 65 kg et mesurait jusqu’à cinq mètres de long alors qu’aujourd’hui son poids se réduit à 3-4 kg et se maintient aux alentours de 2 mètres. De même, au fil des ans, la planche passe du bois à la mousse de polystyrène. Cet ancêtre dont il est question est quasiment préhistorique. Il constituait un élément important de la culture polynésienne: même la famille royale participait à cette activité et avait droit aux meilleurs “spots ”. James Cook sera l’un des premiers à en faire état dans ses récits d’explorateur des Îles d’Hawaï .
Des motivations variées
Grands explorateurs, aventuriers, personnages mythiques et féeriques (Tarzan, Icare, Peter Pan, etc.) sont présents dans notre imaginaire collectif. Les fans de sports extrêmes ressuscitent ces héros et les ramènent dans l’actualité, ils ravivent dans le monde contemporain leurs rêves de conquête de l’espace et de jeunesse. Une recherche psychologique (Bouet, 1968) examine les motivations profondes qui poussent à l’exercice d’un sport. Sur les 11 motivations que l’auteur propose on retrouve l’amour de la nature, le goût du risque et l’attrait de l’aventure qui font partie de l’essence même des sports de glisse. L’amour de la nature se concrétise par un désir d’évasion de la civilisation, sorte de misanthropie. Ainsi on cherche refuge auprès de Dame nature pour oublier l’humanité en général ou quelques-uns de ses spécimens. Si l’incertitude se retrouve presque dans tous les sports, par notre méconnaissance du dénouement, le danger lui est plutôt propre aux sports extrêmes. Il est imputable à la maladresse du sportif comme à la force de la nature: plus le risque est grand, plus il y a d’adrénaline, et plus il y a de mérite. Le goût du risque c’est aussi l’idée de la lutte et de la contemplation qu’on attribue souvent à l’enfant qui fait l’expérience du monde. L’aventurier quant à lui revendique principalement son autonomie, il a le Goût de la découverte, de l’inédit, le besoin de percevoir et d’explorer, mais il peut, de façon névrotique, devenir asocial et être victime d’une recherche démesurée de l’originalité.
Le sport extrême a un côté mystique, pour certains c’est tout simplement une philosophie de vie. C’est la religion du plaisir, la confrontation avec la réalité, une quête de sens. C’est aussi toute une communauté plutôt branchée sur le net pour dénicher de nouveaux sites. “Le refus d’encadrement, le refus de participer à un quelconque projet social : on ne remonte plus le courant, on se laisse porter. On ne s’oppose plus à la réalité, on dévale les Styx bouillonnants en prenant juste garde de ne pas finir ventre en l’air, poisson crevé au fil de l’eau. On ne brave plus la réalité, la nature ou l’époque, on s’y adapte en tâchant de se fondre dans le flux dominant, ni trop vite, ni trop lentement, juste sur la crête, avec un regard anxieux sur les déviants qui barbotent dans l’écume”.
Il est issu de grands courants révolutionnaires comme le surréalisme, le pop art, l’existentialisme, l’écologie. Il tire ses racines de la contre-culture américaine: les mouvements beatnik et hippie. Il se développe à la vitesse des systèmes médiatiques et technologiques. On pourrait aller jusqu’à dire que les confrontations dans les sports extrêmes ne connaissent pas de vainqueur ni de vaincu, de la même façon que pour les grandes guerres du siècle. Pour mieux illustrer comment le sport s’est transformé avec le siècle, voici les 10 commandements aux sportifs footballeurs européens à la fin du XlXe siècle tel que le rapporte Loret en opposition avec les nouveaux comportements fun tirés du magasine Wind (mars 1993) sous le titre “Ni dieu, ni maître: ni bible, ni code, ni morale” :
Les dix commandements
Du sportif du début du siècle.......à l’adepte des sports extrêmes
Un seul but tu chercheras te divertir chrétiennement.
De ton patio tu observeras le règlement très sérieusement.
Au capitaine obéiras toujours fort scrupuleusement.
Pour les arbitres tu seras soumis, poli, spontanément.
Pendant le jeu tu garderas ta place scrupuleusement.
Dans la partie ne parleras quoiqu’il arrive aucunement.
Avec grand soin t’entraîneras sans cesse courageusement.
Tous les bons conseils tu suivras d’où qu’ils te viennent fermement.
Des autres tu ne médiras par derrière trop méchamment.
Nul rabatteur n’écouteras ils te perdraient assurément. Vous n’aurez jamais une seconde chance.
Aimez votre prochain. Be nice.
Ne laissez personne vous dicter votre style.
Faites face à la peur.
Refusez le pouvoir. Trahissez les pouvoirs.
Dont talk too much. Apprenez le silence. Celui qui grandit l’âme.
Le pire est toujours à venir.
Cherchez à vous élever. Pas à briller au milieu de la foule.
Le surf est un art et la montagne une toile infinie.
Refusez les écoles. Suivez votre inspiration.
No pain. No gain. No guts. No glory. No work. No pride.
Le jour se lève; il est vous et à personne d’autre.
Allez en paix!
En conclusion, on ne peut nier que le sport extrême soit un fruit du XXe siècle. Encore représentatif de l’underground grâce à son incessant renouvellement, mais de plus en plus encombré par le système économique qui le poursuit et le façonne, il semble se normaliser tranquillement. On a qu’à penser à tous ces jeunes et moins jeunes qui rêvent de faire du parachute, qui font du snowboard et du patin à roues alignées quotidiennement (aux États-Unis la consommation de roller se rapproche de celle des bottes de ski en 1992 (Loret,1995)). Sans compter qu’il y a de plus en plus de clubs, de compétitions, de records et de champions qui font surface dans le milieu des sports extrêmes. Principalement américain, le phénomène a donc une certaine tendance à l’expansion et suit le courant de la mondialisation nécessitant une multitude de sites naturels de tout genre. Si la rupture initiale entre les sports classiques et les sports extrêmes était le jeu, il est étonnant de voir qu’aux prochains Jeux Olympiques de Sydney, le surf et la planche à neige seront des épreuves sportives à part entière.
Si les héritiers des baby boomers ont quelque peu tourné le dos aux revendications sociales de leurs parents (le féminisme par exemple), ils ont pris la relève dans le domaine du divertissement. Selon des recherches en neuropsychologie, il faudrait parler d’un réel besoin de stimulation des sens. Ces recherches ont démontré que la satisfaction était basée sur les deux concepts de confort et de plaisir, qui sont situés dans deux centres de stimulations différents du cerveau. L’on constate que la satisfaction du plaisir s’enregistre de façon dynamique, par la variation d’un état, positivement ou négativement. Par contre, le centre de la perception du confort (le même que le centre de la douleur) enregistre des conditions statiques. Ainsi notre société serait trop axée sur les notions de sécurité et de confort, les besoins comblés avant même qu’ils ne soient énoncés et le centre du plaisir trop peu stimulé. “La recherche de celui-ci [plaisir] pourrait amener à des actions désordonnées, incompréhensibles et violentes” (WEB, Société de l’information). Le principe de l’abondance et du partage des ressources vient de recevoir un coup. Cette découverte met du relief à la théorie des pulsions de vie et de mort de Freud, mais essayez donc d’aller expliquer cela au skater, cela ne le fera certainement pas redescendre sur terre.
Bibliographie
Bouet, Michel, Signification du sport, Paris, Éditions Universitaires, 1968, 673 pages
Bouet, Michel, Motivations du sport, Paris, Éditions Universitaires, 1968.
Le Brun, Dominique, Sports et techniques de l’aventure, Paris, Éditions Solar, 1992, 509 pages.
Loret, Alain, Génération glisse: dans l’eau, l’air, la neige: La révolution du sport des “années fun”, Paris, Éditions Autrement, 1995, 325 pages.
Vigarello, Georges, Une histoire culturelle du sport, techniques d’hier et d’aujourdíhui, Paris, Éditions Robert Laffont, 1988, 204 pages
Sites WEB
-What’s New on Footbag WorldWide: http://WWW.footbag.org/gallery/photo
WWW.footbag.org/gallery/photo
De la société de l’information à la société complexe: http://pages.hotbot.com/edu/philda/index.html http://pages.hotbot.com/edu/philda/index.html
-Curiosités: http://perso.magic.fr/paipone/page6.htm http://perso.magic.fr/paipone/page6.htm
Le passé composé, Vol.1, no2 (avril 2000)
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