Leçon sur l'allégorie de la Caverne de Platon

par Michel Robert, du cégep du Vieux Montréal

 

La République est un dialogue composé de dix livres. L'allégorie de la Caverne se retrouve au livre VII. On y retrouve aussi deux autres métaphores destinées à mieux nous faire comprendre la formation du philosophe-roi; l'image du soleil et celle de la ligne. Avant l'étude de l'allégorie, notons brièvement ce que nous dit Platon dans les livres I à VI.

1- La cité modèle

Platon définit son projet comme suit: une cité juste de citoyens justes.

1.1- Configuration de la cité modèle

Pour qu'une telle cité puisse fonctionner, il faut nécessairement que chacun remplisse le rôle qui lui revient. Donc pas de justice sans une division des tâches. Cette division, à son tour, implique une hiérarchie; celle-ci doit cependant être comprise comme un liant des différentes composantes de la cité. Chez Platon se retrouve une tripartition de ces composantes: la classe laborieuse, paysans, artisans et commerçants (ceux qui assurent le bien-être matériel en somme); ensuite vient la classe des gardiens (ceux qui assurent la protection de la cité); et enfin les philosophes (ceux qui devraient diriger).

1.2- Culture et éducation

Cette tripartition est une hiérarchie. Une hiérarchie qui exige que toutes ces tâches soient distinctes et sans aucune confusion possible. Platon insiste sur le caractère rationnel de sa division pour nous amener à mieux accepter sa proposition d'imposer un mode de vie et une éducation spécifique aux deux dernières classes. Cette spécificité prend la forme d'une ascèse, d'une vie commune et de l'abandon de toute propriété privée ( y compris au niveau de la vie de couple et de famille). Ensuite, il faudra dresser le corps des gardiens. De la gymnastique au début pour se rendre à un entraînement militaire rigoureux. Cette formation guerrière sera tempérée par une formation intellectuelle de base; la musique et la poésie. Il n'y aura aucune compétition pour elle-même et l'art ne visera que le caractère édifiant, dans la culture commune, des récits.

Platon considère que ce communisme intégral introduit les conditions favorables au civisme. C'est une condition nécessaire pour qu'il y ait bonheur dans la cité.

1.3- Philosophes comme dirigeants

Dans ce groupe de gardiens, seront choisis les membres ayant démontré le plus d'aptitudes, pour accéder à la classe des philosophes. Ils pourront maintenant, par le biais d'une éducation spécifique, basée celle-ci sur l'apprentissage mathématique, être exposés au savoir de la philosophie authentique. Aux yeux de Platon, ce savoir est un processus précis exigeant pour sa progression un contenu qui sera l'objet des livres VI et VII.

2- La connaissance du Bien; l'image du soleil

L'entreprise philosophique n'a qu'un seul but: la connaissance du Bien. Mais comment définir ce que seul le Dieu connaît? Pour parvenir à cette entreprise surhumaine, Platon, par l'intermédiaire de Socrate, fait appel à l'image du soleil. N'est-ce pas par le soleil éclairant notre monde que nous pouvons voir? N'est-ce pas aussi le soleil qui rend visible les choses du monde? Le soleil n'est-il pas ce qui unit les objets et ma vision par l'intermédiaire de la lumière? Par analogie comprenons que ce qu'est le soleil pour le monde visible, le Bien l'est pour le monde intelligible. Le Bien est une Forme Intelligible qui permet la rencontre de notre intelligence et des Idées. De plus, comme le soleil permet la vie, le Bien fait exister les autres Idées.

2.1- Les degrés de connaissance

Il est donc possible de connaître la vérité; la philosophie en est l'entreprise. Mais quel est son contenu et qu'en sera sa méthode? Encore une fois, Platon en appelle à l'image; la ligne droite qu'il divise en segment inégaux représente les deux mondes ainsi que les différents degrés de connaissance qui leur sont liés. Selon l'analogie, nous passons de gauche à droite à ce qui est plus près de la vérité et de la lumière. De plus, la segmentation de la ligne indique que la réalité saisie est vraie et claire, le plus long segment équivalant à la pleine connaissance accompagnée de sa compréhension.

2.2- L'allégorie de la Caverne

Après ce bref rappel des principales thèses des livres précédents de la République, intéressons-nous de plus près au livre VII où Platon fait intervenir sa troisième image pour mieux se faire comprendre. Mais avant de l'aborder gardons à l'esprit ce qui vient d'être dit. Surtout pensons que pour Platon la vérité n'est pas de nous et de notre monde. Contre les Sophistes, Platon veut marquer l'exigence de la philosophie dans sa radicalité anticonformiste aux certitudes faciles de l'opinion ainsi qu'aux confusions engendrées par nos sens. Y parvenir c'est parvenir aux Formes Intelligibles; c'est sortir du monde de l'illusion pour contempler celui de la vérité.

3- Résumé de l'allégorie

Il nous faut imaginer des prisonniers dans une caverne souterraine, qui ont derrière eux un feu, et sont maintenus d'une manière qu'ils ne peuvent apercevoir, sur un mur situé en face, que les ombres de pantins manipulés au-dessus d'un autre mur situé derrière eux. Rien d'autre n'est visible. Libérés des liens qui les retiennent et amenés à se retourner, ils sombrent dans la confusion. Leur bonheur est donc l'état premier de prisonnier. Platon, par la bouche de Socrate, nous signale qu'il s'agit là de la condition humaine. Malheur à qui tente de leur en faire prendre conscience. Toutefois, un petit nombre y parvient et, ceux-ci, commencent une ascension libératrice hors de cette caverne vers l'extérieur, vers le monde véritable. D'abord éblouis, seuls les reflets des choses leur parviennent. Plus tard, ils pourront regarder directement les choses et même regarder le soleil.

3.1- La libération

Platon ici balise l'expression de la condition humaine en termes de reconnaissance des valeurs. En effet il semble que les humains n'arrivent pas à reconnaître ce qui a véritablement de la valeur. Autour d'eux s'agitent des ombres qu'ils prennent pour la réalité. Mais il y a pire. Certains autres manipulent des pantins qui projettent ces ombres. Dans la Caverne (comprenons dorénavant dans la condition humaine) le pouvoir est corrompu; l'intelligence ne sert plus au bien-être de la communauté mais est devenue l'horizon mesquin de buts personnels et mauvais. Pour Platon, le problème commence ici. À l'intérieur de la condition humaine, de la cité, l'agitation incessante à court. Et nous croyons avoir affaire à la réalité. Mais tout n'est qu'illusion. L'horizon des intérêts personnels empêche un regard clair et lucide sur cette condition. Comment reconnaître au-delà des perspectives et des intérêts personnels ce qui a véritablement de la valeur? Sa réponse inaugure une critique de la vision traditionnelle de la vie en société; pour connaître ce qui se trouve au delà de la réalité de la cité (qui n'est de toute façon qu'illusion) il faut aller précisément là. C'est-à-dire au-delà. Car ce monde existe. Être véritablement juste c'est précisément s'élever au-dessus de ses expériences personnelles. Pourquoi? Pour chercher à comprendre au delà de chaque point de vue, de chaque perspective individuelle, la notion qui en permettrait l'explication logique, la connaissance rationnelle. Voilà donc ce qui distingue un philosophe des autres. Il recherche derrière les apparences ce qui fait la véritable valeur. Il est maintenant à la recherche des Formes Intelligibles. Son travail est ardu, car il doit combattre la torpeur ambiante des autres qui ne veulent pas être dérangés dans leur perspectives immédiates et leurs intérêts personnels. Et puis le philosophe ne sait maintenant qu'une chose; c'est qu'il ne sait pas. Il ne peut faire beaucoup de kilométrage sur cela!

3.2- L'apprentissage

Le philosophe poursuit son chemin hors de la Caverne. Il se sort de la condition humaine par une véritable conversion. Une seconde caractéristique qui le distingue des autres. Il ne cherche pas la connaissance pour son avantage personnel mais plutôt la compréhension des Formes est une partie intégrante de sa nouvelle condition humaine. Ici son travail en est un d'apprentissage. La dialectique et la connaissance rationnelle ne sont que des outils dont il usera pour poursuivre la connaissance des Formes par le travail propre au philosophe. Réfléchir et mener à terme la compréhension de notions que la seule expérience ne permet pas de saisir. Sa quête de philosophe est un point de départ vers une libération intellectuelle.

3.3- Le retour dans la Caverne

Cette libération ne sera réussie que dans la contemplation du Soleil. Que dans la compréhension du Bien. Compréhension, qui pour Platon, équivaut à la compréhension du monde des choses. Le monde des Formes et le monde des choses n'existent que par le Bien. Le contempler c'est connaître. Le philosophe peut maintenant revenir à l'intérieur. Plus gravement, Platon l'exige du philosophe authentique. Car maintenant qu'il a contemplé le Bien, sa vie est devenue entièrement consacrée à cette contemplation. Il ne se sent plus à l'aise dans sa condition antérieure (à l'intérieur de la Caverne) et sait maintenant que la connaissance qu'il possède, lui permet de vivre une vie axée entièrement sur l'accomplissement du Bien; une vie bonne et juste. Il est sur le chemin de la sagesse. Ce qu'il comprend est ce qui nourrit son âme. La sagesse en est le seul aliment. La conversion du philosophe est ce qui doit advenir à la cité tout entière. Non pas que celle-ci, ou plutôt ses membres, doivent tous devenir philosophes. Comme nous le savons la Cité platonicienne est nettement divisée. Non. Le philosophe doit diriger la cité et la mener vers la justice. Voilà pourquoi le philosophe devait revenir.

Mais sur ce dernier point Platon était assez pessimiste. La mort de Socrate, condamné injustement à ses yeux, traçait la limite que la démocratie athénienne conserverait toujours. Son utopie politique exigeait des mutations culturelles sur plusieurs plans à la fois. Son prix: laisser le pouvoir aux philosophes, ces amis des Formes. La flatterie et le mensonge gardaient pour eux la simplicité du prix qu'on pouvait payer.

© CVM, 1997